La réduction à deux montées/descentes : la négation de l'incertitude du championnat
Ce jeudi, le conseil d’administration de la Ligue de Football Professionnel (LFP) a voté le principe d’une réduction au nombre de deux, les promotions et relégations à partir de la saison prochaine. Seront donc concernés les championnats de Ligue 1 et Ligue 2 pour l’instant. Cette réforme a été votée à la quasi-uninamité selon le Président de la Ligue Frédéric Thiriez qui a déclaré : « C’est une décision importante pour l’avenir et la modernisation du football. L’idée est de dire que les investisseurs ont besoin d’un peu plus de sécurité. Trois montées trois descentes, c’est trop. » Mais pourquoi serait-ce donc « trop » ? C’est la question à laquelle il s’agira de répondre dans cet article. La ligne directrice adoptée procédera de l’idée que cette réforme et ses motivations remettent en cause l’essence du football que représente l’incertitude de la compétition.
Réduire le nombre de relégations à deux diminue nécessairement l’incertitude du championnat
Est-il nécessaire de démontrer que cette réforme va réduire l’incertitude des championnats qu’elle concerne ? La démonstration est assez évidente et personne ne la niera puisque c’est justement le but affiché par celle-ci. Logiquement, si on enlève une place reléguant une équipe, il faut en ajouter une dans le consacré « ventre-mou » du championnat. Et si les équipes du milieu de tableau sont appelées comme cela, c’est bien parce qu’à partir d’un certain moment, elles n’ont plus rien à jouer ou presque. On augmente alors de fait le nombre de matchs sans enjeux et diminue donc d’autant l’incertitude du championnat. Le Président de LFP Frédéric Thiriez ayant déclaré vouloir offrir un peu plus de sécurité aux investisseurs, il faut lui accorder le crédit de mettre en place une réforme tout à fait efficace. Ce qui est intéressant dans ce débat sur cette modification du règlement, c’est que l’on a une transparence totale des objectifs. Ainsi, le raisonnement se construit autour de l’idée que les championnats professionnels français n’encouragent pas l’investissement car ils sont trop « risqués ». On souhaite donc attirer les investisseurs en offrant cette sécurité supplémentaire que représente la diminution du nombre de relégations. Si l’objectif est tout à fait noble il ne faut pas le nier, le problème réside plutôt dans la vision du football sous-tendue dans l’argumentation que l’on vient de développer. En effet, on privilégie l’arrivée d’investisseurs à l’incertitude du championnat ce qui est d’abord critiquable en plus d’être inefficient. Afin de voir cela, il faut segmenter l’analyse en deux parties distinctes. Dans un premier temps, il faut évaluer la légitimité du raisonnement développée par la LFP. Ensuite, se poser la question de savoir si les conséquences de cette réforme seront souhaitables.
Mettre l’incertitude du championnat au service des investisseurs est une erreur théorique
On l’a dit, la déclaration de Frédéric Thiriez au moment de l’annonce de cette réforme est très révélatrice d’une certaine vision du football professionnel. Si certains en doutaient, il faut répéter que cette réforme n’a pour but que d’augmenter la compétitivité du football français ce qui est évidemment souhaitable. Ce qui l’est moins, c’est ce que l’on peut lire entre les lignes de cette modification. On comprend que l’augmentation de la compétitivité de notre football passe donc par l’arrivée d’investisseurs. Bien sûr, on ne parle pas de projets comme celui du PSG ou de Monaco qui de par leur objectif ne sont pas concernés par la relégation. Mais plutôt de projets d’investissements limités, de gestion sur le long terme sans apports en fonds propres démesurés. On part donc du principe que c’est l’investissement qui augmente la compétitivité. L’objectif n’est absolument pas de rentrer dans un débat de théorie économique où la portée de l’investissement est bien sûr fondamentale. Il faut simplement rappeler que les championnats de football ne sont «que» des activités sportives et dont la logique échappe à une partie du raisonnement économique. Au centre de cette logique sportive se trouvent les notions d’incertitude du résultat et en extrapolant, d’incertitude du championnat. Très logiquement, on peut avancer que l’incertitude du résultat se base sur le postulat qu’au début d’un match, les deux équipes s’affrontant feront tout ce qu’elles peuvent pour remporter la rencontre. C’est bien parce qu’elles feront leur maximum que le résultat est incertain et c’est tout l’intérêt du football. On l’a vu, en diminuant le risque de relégation, on augmente de fait le nombre de rencontres sans enjeux au cours du championnat. Ce qui aboutit logiquement à diminuer l’incertitude et l’intérêt du championnat tout entier. On oublie également que cette incertitude ne se situe pas qu’en haut du classement, la « course au maintien » est également très importante dans l’intérêt des spectateurs. Le véritable sujet est ici de voir que par cette réforme, non seulement la LFP met en place une mesure qui diminue l’incertitude qui fonde pourtant le football, mais en plus elle l’assume. On modifie les règles de la compétition pour en diminuer l’incertitude qui fonde pourtant tout son intérêt.
Les défenseurs de cette réforme pourront avancer, avec raison, que l’incertitude du résultat n’est pas absolue et qu’il n’est pas rare de voir des matchs ou seulement l’une des deux équipes, voire aucune, n’ont un intérêt réel dans l’issue de la rencontre. Cela ne posant de problème à personne. Il faut leur répondre que si dans les faits, il est dans la nature d’un championnat ou d’une phase de poule de déboucher à un moment sur des matchs avec moins d’incertitude car une équipe est déjà reléguée ou championne, revendiquer d’augmenter le nombre de matchs sans enjeux revient à nier institutionnellement le football. C’est en cela que l’objectif poursuivi par la LFP dans cette réforme est une erreur théorique. Car l’incertitude qui fonde le football doit toujours être encouragée, sous peine dénaturer le sport.
Diminuer l’incertitude du résultat pour augmenter la compétitivité des championnats est inefficient
L’argument théorique qui a été développé plus haut relève d’une conception du football, qui semble-t-il devrait être partagée par tous. Mais il faut également accepter la contradiction si l’on veut débattre de manière constructive. Il s’agira ici d’examiner les conséquences pratiques de cette réforme et de voir si elle est susceptible de remplir ses objectifs, en partant du principe qu’il peut être justifié de diminuer l’incertitude du résultat.
Que se passe-t-il si l’on diminue l’incertitude du championnat ? On l’a dit, on donne certes plus de sécurité aux investisseurs, mais on augmente surtout le nombre de rencontres sans enjeux. Par là, on diminue également l’intérêt du public pour ces rencontres. Pourquoi ? Simplement par le fait que les stratégies frileuses sont encouragées. Pour voir cela, il faut se placer dans la perspective d’un club « moyen » de Ligue 1 ou de Ligue 2 et mener un simple calcul coût/opportunité. Si un club sait au début du championnat qu’il faut impérativement prendre des risques dans le jeu pour gagner le plus de matchs et ainsi se maintenir, alors ces risques sont pris car la relégation est une catastrophe économique. À l’inverse, lorsque les règles du jeu changent et rendent plus simple le maintien, on décourage alors nécessairement cette prise de risque par les clubs puisqu’elle est moins nécessaire. Ainsi et toutes choses égales par ailleurs, ces derniers auront plutôt intérêt à adopter des stratégies frileuses puisque les conditions économiques sont exactement les mêmes, mais que le risque de descendre en division inférieure est diminué. On offre donc plus de sécurité aux investisseurs, mais on les encourage à mettre en place des projets « petits-bras » en augmentant les avantages de ce type de stratégie sans en diminuer les inconvénients. En diminuant le risque, on encourage donc un investisseur rationnel à conserver cette stratégie de maintien, plutôt qu’à tendre au développement qui par nature est plus risqué. Puisqu’on encourage moins les clubs à prendre des risques, on diminue l’intérêt des rencontres où les équipes donnent moins leur maximum pour obtenir un résultat. On l’a dit, ce résultat est finalement moins nécessaire puisqu’il est plus aisé de se maintenir et que c’est la stratégie la plus rationnelle. S’en suivrait une diminution de l’intérêt des spectateurs, qui pourrait aboutir à un terme à un remplissage des stades moindre et des audiences télévisées moins élevées à partir du moment où le « ventre-mou » du championnat se serait constitué. Ce faisant, les revenus des clubs pourraient donc à terme être diminués. Suivant ce raisonnement, on arrive à un résultat absurde par rapport au postulat de départ qui était de dire que pour augmenter la compétitivité, il fallait accorder plus de sécurité aux investisseurs en diminuant le risque.
On revient alors à l’erreur théorique qui a été avancée plus haut. Privilégier l’investissement au détriment de l’incertitude sportive est en réalité un cercle vicieux. Ce que la Ligue n’a pas pris en compte, c’est que c’est par le risque et l’incertitude du résultat qu’on augmente la compétitivité d’un championnat, en plaçant au centre l’intérêt du spectateur. Les revenus des clubs et donc le développement de projets ambitieux par des investisseurs découlent de cet intérêt des observateurs et non l’inverse. Finalement, c’est en partant d’une vision théorique erronée que la LFP adopte une mesure contre-productive. Il ne faut pas offrir plus de sécurité aux investisseurs mais plus d’incertitude aux observateurs. Pour terminer, il faut rappeler à tous que le principe de promotion/relégation est un des éléments fondateurs du football européen. À partir du moment où l’on remet en cause ce principe, rien n’interdit de limiter encore le nombre de relégations à l’avenir et d’aboutir à des ligues fermées. La remarque est assez savoureuse à l’époque où le Fair-Play Financier de l’UEFA est critiqué parce qu’il transformerait de fait la Ligue des Champions en ligue fermée européenne.
(Crédits photo : France Football)