Pourquoi ne faut-il plus baser d'analyses sur l'indemnité de transfert ?

La fin de saison approche à grands pas et bientôt fleuriront les analyses sur les réussites et les échecs du précédent mercato, avant celles sur les transferts à venir. Le but de cet article est de montrer en quoi fixer les attentes que l’on a des prestations d’un joueur en fonction de l’indemnité de son transfert n’est pas un raisonnement pertinent. Car ce faisant, l’observateur part du principe que le montant du transfert révèle sa valeur intrinsèque alors qu’il n’en donne qu’une vague indication.

Quel lien existe-t-il entre la valeur intrinsèque du joueur et le montant du transfert ?Qu'est-ce qu’un transfert et surtout, à quoi correspond son montant ?

Commençons par déconstruire un peu les choses. On dit souvent qu’il ne fait pas bon comparer les joueurs d’une époque avec ceux d’une autre. C’est vrai, mais en ce qui concerne les transferts, il est au contraire très intéressant de le faire. Sur les dix plus grosses opérations jamais conclues, six l’ont été en 2013 ou après, et trois en 2009. Le plus ancien dans ce palmarès est celui de Zinedine Zidane en 2001 pour 75 millions d'euros. Soit.

Supposons que le montant d’un transfert soit une indication fiable de la valeur intrinsèque du joueur (ci-après « valeur »). Cela reviendrait logiquement à dire qu’à tout instant, ce top 10 des plus gros transferts de l’histoire serait également le classement des meilleurs joueurs de tous les temps. Aucune personne sensée ne se risquerait à avancer une telle chose (ou qu’elle se dénonce). Les raisons à cela sont multiples. Certains diront que Pelé, Maradona, Cruyff, Platini etc., n’y figurent pas et on peut admettre sans aller plus loin qu’ils ne seront pas dans le faux. D’autres diront que les montants des transferts varient trop entre les différentes époques, qu’à l’heure actuelle une bulle se forme sur ces montants et qu’il est donc déraisonnable d’établir des comparaisons entre les joueurs uniquement par rapport à ceux-ci, il rejoignent donc les premiers. Cet exemple montre bien que la supposition faite plus haut n’est pas soutenable à moins d’adopter un point de vue franchement contestable. À quoi correspondent donc ces montants de transfert ?

Quand on paie un joueur une soixantaine de millions d’euros, on est en droit d’en attendre plus

Dominique Sévérac du Parisien au sujet d'Edinson Cavani, 1er mars 2015

Cette phrase du grand reporter au Parisien permet de mettre en lumière deux éléments intéressants. Le premier tient à la définition des termes de cet article. En effet, Dominique Sévérac parle « d’attentes » et non pas de valeur intrinsèque. Ce « qu’on attend » d’un joueur semble pouvoir être ramené à une certaine qualité de prestations sur le terrain. Ensuite peut-on partir du principe que les attentes fixées sur un joueur sont d’autant plus grandes que la valeur intrinsèque du joueur est élevée. Ces attentes placées peuvent donc être vues comme l’instrument de mesure de cette notion de valeur intrinsèque du joueur. Cette dernière valeur devant être strictement limitée aux considérations footballistiques puisque c’est ce dont parle le journaliste, on exclut donc les considérations économiques. On attend plus d’un Ibrahimovic lorsqu’il signe au PSG que d’un Lucas Digne par exemple parce qu’intrinsèquement, le Suédois acheté une vingtaine de millions d’euros est meilleur que le latéral transféré pour 15millions (il faut noter la faible différence des montants). S’il est presque impossible de définir précisément la valeur intrinsèque du joueur, on admettra tout de même que les attentes que l’on a en sont une manifestation.

Le second élément tient à l’agencement de ces notions. Sévérac (mais il n’est pas le seul) semble dire que plus le montant du transfert d’un joueur est élevé, plus les attentes qu’on place en lui sont grandes. Or on vient de voir que ces attentes n’étaient qu’une mesure de la véritable valeur du joueur. Ensuite, l’exemple du top 10 des plus gros transferts montre qu’il existe une grande incertitude quant à la fiabilité du montant de transfert pour établir cette valeur intrinsèque. Un raccourci est donc ici fait, car il part du principe le transfert indique la valeur intrinsèque sur laquelle sont enfin basées les attentes. Il y a là une incohérence, soit le montant du transfert indique la valeur intrinsèque du joueur et donc de ce que l’on peut attendre de lui, soit il ne l’indique pas. Les attentes sont fixées proportionnellement à la valeur, cela est clair. Mais la valeur n’est pas fixée par l’indemnité de transfert et c’est là où réside tout le problème. Il ne s’agira pas de donner une définition ou une méthode d’évaluation de cette valeur car cette dernière est trop subjective. Il s’agira plutôt de montrer en quoi le montant du transfert ne constitue pas un indicateur fiable de la valeur intrinsèque et de proposer un critère plus fiable pour permettre l’analyse : le salaire.

La définition du transfert reste vague

Il faut noter que l'opération de transfert n’a aucune définition légale aussi bien dans le Code du travail que dans le code du sport (s’il en est). Une cour d’appel a tout de même jugé que « le transfert peut toutefois être défini comme une opération par laquelle un club accepte de mettre fin au contrat de travail à durée déterminée qui le lie à son joueur avant son terme afin de lui permettre de s’engager avec un nouvel employeur en contrepartie du versement par ce dernier d’une indemnité financière appelée indemnité de transfert ». CA Douai 2010 (Le transfert du sportif professionnel, Les Petites Affiches, déc. 2013).

Si l’on résume les positions des différentes parties au transfert, le club « vendeur » évalue donc l’indemnité qu’il souhaite recevoir afin de consentir à rompre le contrat de travail avec le joueur qu’il a sous contrat et qu’il n’a juridiquement aucune raison de libérer. Évidemment le joueur lui est d’accord avec le nouveau club mais à ce stade il n’intervient pas dans cette négociation, en tout cas théoriquement. Une manière de résoudre le problème du lien entre montant de transfert et valeur intrinsèque pourrait être de dire qu’à partir du moment où le club « acheteur » paye un certain montant au club d’origine, cela implique qu’il estime la valeur du joueur à ce montant et en toute logique, plus la valeur d’un joueur est grande, plus les attentes placées en lui le seront. En apparence, cette solution paraît satisfaisante et c’est l’analyse de beaucoup d’observateurs, mais elle ne tient pas pour diverses raisons. Un exemple a déjà été donné, celui du top 10 des plus gros transferts.

La première est liée à la nature de l’opération telle qu’elle a été définie. Étant donné que rien n’oblige le club « vendeur » à consentir à la rupture du contrat de travail, il se trouve en position de force vis-à-vis de l’autre club. Cette position engendre naturellement une réévaluation de l’indemnité de transfert, sans lien avec la valeur intrinsèque du joueur. La concurrence d’autres clubs pour s’attacher les services du joueur est un exemple de cette position favorable du club « vendeur ». À l’inverse, si le club se trouve dans une situation délicate sportivement, financièrement ou simplement dans ses rapports avec le joueur, cette même indemnité aura tendance à baisser et encore une fois, sans lien aucun avec la valeur.

Une seconde raison tient à la dimension économique du footballeur professionnel et que l’on a exclu plus haut de la valeur intrinsèque. Depuis 2005 un joueur de football peut être inscrit en tant qu’actif incorporel dans les comptes du club. Ce que l’on peut définir comme un « élément non contrôlé, non physique et non financier qui génère des avantages économiques futurs » (Les Petites Affiches, précité). Ainsi, lorsque les clubs négocient l’indemnité de transfert d’un joueur, ils prennent en compte les possibles « avantages économiques futurs » , les ventes de maillot, l’impact sur la billetterie etc. Ces éléments montrent que le marché des transferts influe sur la fixation de montants qui prennent une certaine indépendance de la valeur intrinsèque, footballistique, des joueurs. Un footballeur ayant une meilleure gestion de son image pourra donc justifier une indemnité plus importante sans que son niveau soit meilleur. D’autres éléments viennent encore déconnecter un peu plus les indemnités de transferts de cette valeur. L’exemple du PSG est encore utile. À l’arrivée des actionnaires Qatariens, le club Parisien a surpayé de nombreux joueurs en « monnayant » son arrivée sur le marché des grands clubs européens. Pastore acheté 42 millions d’euros à Palerme (avec en plus une partie de ce transfert qui était en réalité sur Salvatore Sirigu), Lucas Moura 42 millions etc. Il faut également prendre en compte le fait qu’un jeune joueur à très fort potentiel pourra faire l’objet d’une indemnité de transfert très importante. Il est bien sûr possible de trouver des raisons à cette surévaluation du potentiel, mais force est de constater que l’avenir d’un joueur n’est pas son niveau actuel. Dans un autre contexte, l’explosion des recettes de droits télés de la Premier League engendrera très probablement une inflation des montants des transferts et ce à tous les niveaux. Et que dire de la situation contractuelle ou de l’âge du joueur en cause ? Toni Kroos, grand espoir du Bayern Munich, international Allemand et vainqueur de la Ligue des Champions a été transféré moins cher ou quasiment au même prix (une vingtaine de millions d’euros) que Yohan Cabaye de Newcastle au PSG (25millions) parce qu’il ne lui restait qu’une année de contrat.

Il ne faut pas se méprendre, le but n’est pas de dire qu’il ne faut absolument pas prendre en compte la fameuse indemnité de transfert dans une analyse. En revanche, il apparait désormais clair que l’essentiel de l’analyse des prestations d’un joueur ne peut être uniquement basée sur cette indemnité. Car de fait, elle est susceptible de multiples variations éloignées de la valeur footballistique à partir de laquelle on fixe naturellement les attentes.

Si ces raisonnements basés uniquement sur le transfert sont donc conceptuellement critiquables, ils ont en plus une influence négative sur les performances des joueurs qui en font l’objet. Ces derniers se retrouvent, en effet, à porter leur prix de leur transfert sur leurs épaules. À cet égard, il faut noter une autre incohérence. Il a été dit que selon la définition juridique (française) du transfert du footballeur, cette indemnité ne concerne aucunement le joueur. Pourquoi devrait-il subir des critiques basées sur une indemnité dont la fixation lui est complètement étrangère d’abord, et qui on l’a vu, est trop volatile pour permettre de fixer sa valeur intrinsèque ? Le but n’est pas de crier à l’injustice mais il faut tout de même avouer que la logique du raisonnement est très incertaine. La responsabilité de cette dépense n’incombe pas au joueur mais à la direction sportive qui a bien voulu payer. Considérant cela, il faudrait sur ce point reformuler la phrase de Dominique Sévérac et rediriger la critique vers le club et non le joueur. Finalement, on voit qu’une analyse ne peut pas être rigoureuse si elle fixe les attentes envers un joueur en fonction de sa valeur intrinsèque qui serait évaluée grâce au montant du transfert.

Les attentes que l’on a des prestations d’un joueur sont bien fonction de sa valeur intrinsèque. En revanche, la valeur ne peut être approchée par le montant du transfert qui dépend de facteurs externes. Parler de l’indemnité de transfert quand on évalue des prestations par rapport à des attentes n’est donc pas précis.

Il est possible de prendre en compte un autre élément plus fiable pour fixer les attentes que l’on place en un joueur et qui est plus conforme à sa valeur intrinsèque. Prenons encore une fois l’exemple du PSG et les transferts d’Ibrahimovic et de Lucas Moura. Le premier, un attaquant de classe mondiale ayant 30 ans et habitué à changer de clubs tous les deux-trois ans. Son transfert est conclu pour 20millions d’euros et son salaire est fixé à 14millions sur 4 ans, soit 56millions d’euros de salaire sur la durée du contrat. Le second, un grand espoir Brésilien qui n’a pas 20ans, transféré pour 45 millions d’euros après une rude concurrence avec Manchester United (Sir Alex Ferguson déclarera d’ailleurs que le montant de ce transfert était une folie), son salaire étant de 3.6 millions d’euros avec 4 ans de contrat, soit 14.4 millions de salaires sur la période. On remarque immédiatement que si l’on devait baser les attentes que l’on a des prestations d’Ibrahimovic et de Lucas sur le montant de leur transfert, celles sur le Brésilien devraient être plus élevées. Il est assez simple de se convaincre que cela n’a aucun sens. En revanche, en se basant sur le salaire, on s’aperçoit qu’une année de salaire du Suédois équivaut à la totalité du contrat du jeune Brésilien. Cela semble plus juste. Rappelons que si le transfert n’était pas négocié par le joueur, le salaire lui l’est. Faisant l’objet d’une négociation entre le joueur et son nouveau club, le salaire permet de fixer plus précisément les attentes que le club fixe en sa recrue. Cette négociation place le joueur dans la grille des salaires du club qui est un élément de plus en plus important de la cohésion du vestiaire. De ce fait, plus le salaire est élevé plus le joueur est important pour le groupe et plus un joueur est important, plus on attend de lui. Si ces montants sont également liés à la conjoncture et n’ont cessé d’augmenter ces dernières décennies, ils sont tout de même moins fluctuants que les indemnités de transfert pendant la carrière du joueur et reflètent ainsi mieux ce qu’on est en droit d’attendre de lui. Dire que le salaire permet d’approcher avec exactitude la valeur intrinsèque du joueur serait rapide et imprécis, mais dire que c’est un indicateur plus fiable que l’indemnité de transfert paraît approprié.

S'il est établi que l’on est en droit d’en attendre plus d’Edinson Cavani, ce ne sera pas parce qu’il aura couté une soixantaine de millions d’euros, non. Mais bien parce qu’il est payé 9.6 millions par an.

Cheben

Salut,

je viens de lire ton article suite à ton intervention sur RMC ce soir. article intéressant car il ramène le focus sur la grille salariale qui est un bon indicateur de la valeur intrinsèque d’un joueur. je pense qu’on pourrait aller plus loin dans ton analyse en décomposant la valeur intrinsèque du joueur en deux: valeur sportive et valeur économique. le salaire est basé sur ces deux valeurs, certains joueurs ont une grande valeur sportive et une valeur économique faible voir Thiago-Motta qui a peiné a faire revaloriser son salaire et d’Autre joueur ont une grande valeur économique et une valeur sportive plus faible exemple Beckham au PSG a 37 ans fin de carrière.

cela m’intéresserait d’en apprendre plus sur un club comme le Real qui a véritable stratégie économique lorsqu’il paie très cher des joueurs comme Bale, savoir quel est le ROI sur ce profil de joueur (retour sur investissement), Le ROI pourrait être divisé en deux : selon un ROI performances sportives et selon gains économique (vente maillots, billeterie, droit télé etc..) quel est le ROI de CR7, quel est le ROI de Modric (pour moi le meilleur joueur de foot en Espagne) ? est ce que le comptable du PSG a le même avis sur Cavani que Sévérac ? combien on a vendu de maillots Cavani et la billetterie a pas mal augmenté également, non ? ce qui m’indigne c’est les gens qui s’indignent des sommes payées par les anglais sur des joueurs moyens français alors que les 20 clubs anglais vont avoir 3,3 milliards a dépenser des la fin de la saison en cours. ce serait une grosse erreur stratégique de ne pas investir au moins 50 million en transfert pour essayer de se maintenir dans l’élite anglaise. enfin bon, on pourrait extrapoler encore plus sur ces considération économiques.

Cheben

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