Les enseignements de Bosman : pourquoi ne faut-il surtout pas agir en justice contre le FPF
Depuis l’entrée en vigueur du Fair-Play Financier (ci-après « FPF »), l’écrasante majorité des commentaires ne sont que des critiques à l’encontre de la nouvelle régulation de l’UEFA. Quiconque ayant pris le temps d’aller lire le « Règlement sur l’octroi de licences aux clubs et le FPF » aura remarqué deux choses. La première étant qu’une majorité d’observateurs n’ont qu’une connaissance très partielle des nouvelles règles entourant la politique sportive et financière des clubs. La seconde, que tout le monde aura noté, est que personne ou presque n’y est favorable. Pourquoi cela ? L'objectif de cet article est double, d’abord donner les références et éléments fondamentaux permettant de comprendre précisément les nouvelles règles et ensuite, de s’extirper de la critique systématique qui en est faite pour voir en quoi l’intégrité du football nécessite que le FPF ne devienne pas un deuxième arrêt Bosman.
Le FPF est injuste, il fige la concurrence européenne en empêchant de nouveaux clubs d’arriver dans le top 10 européen
Voici donc le principal reproche formulé à l’encontre du Fair Play Financier pourtant souhaité par toute la France du football il y a quelques années. Force est de constater que la critique formulée plus haut est justifiée. L’analyse de base consiste en l’idée que le FPF oblige les clubs à ne dépenser, pour leur équipe première, que ce que cette dernière a généré. Mais ce n’est pas tout, les contributions d’actionnaires ne sont pas prises en compte, voici l’apport fondamental du FPF. Dit autrement, l’actionnaire ne peut plus « mettre la main à la poche » pour renflouer les caisses de son club ou tout simplement lui permettre de recruter (il peut cependant investir dans le centre de formation ou la construction d’un stade). Chaque euro dépensé pour l’équipe première doit donc avoir été généré par l’activité du club. Pour ce faire, le Règlement de l’UEFA instituant le FPF dresse deux listes et énumère tous les éléments qui y figurent, la première est appelée « revenus déterminants » et la seconde « dépenses déterminantes ». Le club doit, pour respecter le FPF, calculer la différence entre ces deux listes et si celle-ci est négative, alors il pourra être sanctionné (pour une présentation plus détaillée du FPF voir mon article sur les Cahiers du Football : Fair Play Financier : La frappe cadrée de l'UEFA)Le rejet des contributions d’actionnaires se comprend par le fait qu’elles ne figurent pas dans la liste des revenus déterminants. Voilà très précisément d’où viennent tous les problèmes du PSG, de Manchester City et l’explication du changement de cap de l’AS Monaco. Sachant cela, il sera très difficile pour un club moyen à l’échelle européenne de venir concurrencer des équipes ayant des budgets bien supérieurs. (pour une analyse plus poussée sur ce point, voir un autre article des Cahiers du Football : FPF une efficacité menacée).
Si le FPF est évidemment critiquable, la défense que l’on doit en faire ne réside pas dans sa nature mais plutôt dans le contexte du droit Européen.
Pour comprendre cela, il faut se remémorer l’arrêt Bosman rendu en 1995 par la Cour de Justice de l’Union Européenne. L’avenir de deux règles était en question devant le juge européen. La première concernait l’indemnité de départ dont devait s’acquitter le club d’accueil d’un joueur même si celui-ci était en fin de contrat. L’autre règle était la fameuse « clause de nationalité » en vertu de laquelle un club ne pouvait aligner plus de trois joueurs étrangers en match, plus deux autres ayant joué pendant une période ininterrompue de cinq ans dans le championnat, dont trois en junior. Pourquoi cela intéresse-t-il finalement notre analyse du football ?
La réponse est simple. Lorsque l’UEFA met en place ces règles encadrant les transferts et les clauses de nationalité, elle entend réguler le football. L’association Suisse met donc en place des règles dont le but est d’assurer la pérennité du football et la sincérité des compétitions qu’elle organise. Il convient de noter ici que si de nombreuses questions peuvent être soulevées quant à la légitimité de l’UEFA dans la poursuite de ces objectifs, celles-ci feront l’objet d’un traitement ultérieur. Cela étant dit, le football européen n’évolue pas en vase clos, il est de plus en plus intégré et utilisé par d’autres secteurs d’activité. Ainsi le business du football s’est développé en même temps que sa popularité. D’activité sportive, le football est devenu un véritable secteur économique. Cet élément est fondamental puisqu’il déclenche l’application du droit de l’Union Européenne comme l’a retenu le juge européen en 1974 dans l’arrêt Walrave. Mais qui dit droit de l’Union dit application des stipulations sur la libre circulation des travailleurs, on commence alors à voir le rapprochement avec Bosman. À l’origine, Jean-Marc Bosman était un joueur de football tout à fait moyen qui a eu un contentieux avec son club au sujet de la règle de l’UEFA qui imposait au club récupérant un joueur en fin de contrat d’indemniser son club précédant. C’est bien ce litige finalement banal qui a modifié en profondeur le football européen.
Quels étaient les véritables enjeux de la question posée à la Cour de Justice de l’Union ?
Finalement, la question posée au juge était simple. Celle de la conformité des règles précitées au droit Européen. La règle 3+2 et la clause de départ enfreignaient-elles la libre circulation des travailleurs et opéraient-elles discrimination ? La réponse, que tout le monde connait, a évidemment été positive et les règles mentionnées ont été progressivement supprimées. L’objectif n’est pas de donner les clés de ce débat juridique qui n’intéressera que peu de personnes, même si la question de la spécificité sportive est fondamentale. Il est en revanche important de se poser la question de savoir s’il était souhaitable pour le football que le juge européen ait eu à se prononcer sur ces questions. La réponse qui sera ici apportée sera négative car il semble bien qu’à chaque fois que le juge européen s’est prononcé sur l’application du droit européen au secteur sportif, il le dénature un peu plus. En effet, il applique des principes juridiques et économiques censés régir des secteurs économiques « normaux ». Or le secteur footballistique est tout sauf un secteur normal, c’est une activité certes économique, mais dont la base reste son caractère social (reconnu par toutes les institutions européennes). C’est parce que le football, et le sport en général, repose sur ce caractère social que peuvent être justifiées des règles comme celles qui ont été interdites après Bosman, car quelque chose de supérieur est à préserver. L’arrêt Meca-Medina rendu en 2008 semble être un bon exemple de ce décalage entre droit européen et vision du sport tel que nous le connaissons. Il a été jugé dans cette affaire que des règles antidopage en natation étaient contraires au droit européen de la concurrence. Sans rentrer dans le détail, il est quand même assez étonnant que des règles dont le but est de préserver une concurrence saine entre les sportifs soient jugées anticoncurrentielles du point de vue du droit européen, non ?
Les institutions européennes reconnaissent le caractère autorégulé du football
Ces développements n’ont absolument pas comme but de donner un blanc-seing à l’UEFA, loin de là. Mais si l’on prend en compte les effets néfastes de l’arrêt Bosman sur le football et l’exemple de Meca-Medina, on comprend que le juge européen n’est certainement pas le mieux placé pour défendre les intérêts de notre sport (lire ce commentaire de décision par Gianni Infantino pour aller plus loin). Bien sûr que le FPF et l’UEFA sont critiquables, bien sûr que les droits des joueurs et des clubs doivent être défendus. Mais à partir du moment où on accepte que l’UEFA fixe les règles de participation aux compétitions qu’elle organise, on se doit de prendre en compte les effets dévastateurs que pourrait avoir une nouvelle application du droit de l’Union Européenne à notre sport. Les juristes se seront convaincus de la grande incertitude qui règne autour de l’application au sport des règles régissant le marché commun. C’est dans ce cadre qu’il faut absolument que le FPF ne soit pas remis en cause devant les cours européennes. La solution qu’il faudrait prôner est une contestation « en interne », parmi les instances du football, un secteur trop particulier et largement méconnu des instances européennes. Ne demandons pas à un juge de se prononcer sur la conformité à un droit de la concurrence qui a pour but d’empêcher des firmes de se constituer un monopole alors même que le secteur sportif est caractérisé par l’interdépendance entre les équipes sportives. Il n’existe pas de monopole pour un club sportif, car cela entrainerait la fin de la compétition qui est l’essence même de l’activité sportive. Pourquoi s’insurger contre un FPF qui serait anticoncurrentiel alors même que son objectif est de permettre de rétablir une concurrence plus saine entre les clubs ? Si ce but n’est pas atteint par le FPF et cela semble être le cas, que la discussion soit ouverte. Que le football en débatte en interne, mais qu’on ne demande pas l’appui d’un juge qui a mis en branle tout un système avec l’arrêt Bosman. Très peu de choses ne sont pas critiquables dans la régulation actuelle du football européen, mais ce serait une erreur de croire que la solution est à trouver devant le juge européen. Il ne ferait qu’empirer les choses.
Juger le FPF devant les juridictions européennes serait aussi l’occasion pour le juge européen de caractériser la spécificité du sport face au droit européen. Et ainsi dire que certaines règles du droit de la concurrence pourraient être écartées car le but recherché n’est pas le même. Cela parait-il plausible comme possibilité?
Désolé pour le temps de réponse. Le juge européen a déjà eu à appliquer le droit de la concurrence au sport cf Meca Medina… Le résultat n’a pas vraiment été favorable comme je l’écris plus haut. On ne sait pas mais avec les évolutions d’hier ça sera en tout cas intéressant.